Caisse de résonance
ou
L’hypocrisie de la prose

le ver enfant secrète un embrouillamini de traces, une inquiète prolifération fragile,
un nuage de filaments – que je m’époumone à suivre, à croiser,
à rompre, à renouer – à tenir…
Jacques Dupin, Tiré de soie1

D’entrée de jeu un duo. Deux pots, qui créent réseau. Table des matières. Duchamp se profile. Pots aux roses. À bruit secret.
Peinture pour table. Erreur d’aiguillage. Langages qui ne sont pas en phase. Chalkboard Paint. Pour tableau, tableau noir.
Peinture pour table de ping-pong et pour tableaux. Surfaces promptes aux rebondissements. Lieux pour la réverbération d’un écart/tracé. De haut en bas, droit devant, derrière soi. Diagonale du fou. Passage du noir au vert, le mot peinture perdure. Énigme qui signe le camouflage. Transcodage.

Tu me suis ?

Surdimensionné, atteignant presque la carrure du mur, un tableau peint évoquant le papier peint, la reproduction mécanique d’un motif. Motif tellement rose, tellement pop, rehaussé à coups de pinceau, par les deux mêmes couleurs apposées comme fond. Roses kaki et noires s’avancent dans leur superbe et se projettent, en rang serrés, narguant la grille perspectiviste, ouvertes pour la valse-hésitation des termes. « Peinture pour tableaux » : injonction inscrite sur les pots et prise au mot. La transcription « picturale » relève des gestes repérables dans la tradition artistique et, simultanément, mime les manipulations d’image readymade, celles opérées par ordinateur et disponibles pour tout un chacun s’amusant à découper, coller, triturer ses photos. Tirages numériques désormais enfouies sous les couches d’une « peinture à numéros ». Matité d’un rendu, « photoshop fait main ». Flou photographique, en sus...

Tableau dans le tableau ou plutôt le contaminant, jusqu’à l’enserrer dans son cadre. Tableau d’école. Structure métallique montée sur pieds, mobile construit en écho au schéma figurant de guingois sur nos deux pots et à tous ceux existant « hors les murs ». La galerie telle une salle de classe. Regard qui balaie la surface : sillon qui enregistre puis (s’)efface. En surimpression, presque malgré soi, faire fi du garde-à-vous requis face à une œuvre et devant le maître : fantasmer la main qui gribouille, la craie qui brouille. Craie qui fait grimacer les roses, griment les poses. Fragilité d’une graphie, d’un graffiti en répons aux lettres d’alu : corps-miroir, lisse comme de la soie, miroir sans tain là où la lumière s’éteint. Lettres d’alu, où une main s’est glissée. A laissé son empreinte. Pour mieux séduire qui s’en empare, les (re)lisant…

je me tus

Le souffle…son murmure obsédant, son incessant va-et-vient de l’inspiration à l’expiration, c’est un peu la marée de la voix, son infrastructure qui oscille et se berce sur le vide,
une petite musique d’avant la parole, d’après la parole aussi, ce qui reste malgré tout
quand on choisit de se taire, d’attendre et d’écouter en silence.2

Murmures entre deux murs, à peine susurrés du fond d’une tra(n)chée. Prélèvements qui dévisagent et transgressent l’apparente unité du tableau. Le voici corps sonore, frontière poreuse où s’intervertissent, et se creusent, dedans et dehors. Lieu pour des tractations fugitives, subreptices. Le silence s’écrit… Sous couvert de roses maquillées, elle ment. Accidentellement. Inscrit en dièse, l'engagement. Le « langage ment » 3 et engage sur des voies qui vrillent, tout comme il désengage des voir rivés sur soi. Musique des mots qui les fait pivoter, errer puis reprendre pied dans une autre direction. Au gré de genres qui s’échangent, de pas qui s’emmêlent, nous louvoyons. Trahir, de « tradere », selon l’étymologie « livrer, transmettre » menant à deux interprétations qui s’affrontent, soit « confier » et « livrer, abandonner ». Le mot telle une taupe. Tout à la fois recel, et exhibition, d’un secret qui ne nous appartient pas. Ou qui est soi, sans qu’on le sache.

je te vis

Cet acte s’insère. Les masques s’enfilent. Hypocrita, mot latin dérivant du grec hypocritês, interprète des songes, d’une vision. Hypocrisis, terme latin toujours, provenant du grec hupocrisis, soit « réponse dans un dialogue de théâtre ». Passé trouble de l’articulation d’une langue soutenant la figuration de possibles laissés en friche, réactivés le temps d’un parcours. Sans mot dire, chacun cherche sa voie, aiguillonné par les signes écrits qu’il fait résonner en lui. Rencontre appréhendée sans invités visibles sinon, se dit-on, ceux-là mêmes à qui l’on a fait parvenir un bouquet de roses…si roses. Personnages qui nous hantent, nous habitent. Attente. Dans l’incertitude et l’expectative. Certains invités qui se pointeront ne l’étaient peut-être pas et n’en est-ils pas qui s’imposent, malgré soi ?

Étourdiment, un(e) vis fait virevolter, et se mirer, les déclinaisons de voir et vivre. (Dés)incarnation au gré d’expressions pronominales, de verbes inchoatifs qui surgissent puis disparaissent suivant notre position dans l’échiquier. Incitation à l’ «autofiction »4 par l’appropriation des déictiques apposés sur les cimaises, afin que ceux-ci prennent corps... en phagocytant celui de qui les voit. Les voit parce qu’il s’y noie. Se laissant investir, par des mots découpés qui gardent le haut du pavé. Puisque parés, coupants, prêts à tous les réalignements.

tu vis

P(r)ose rose. Roses qui causent et cousent un palimpseste de voix. Mots qui tintent, alignés sur des horizons courbes. Échange où insiste le fil d’une présence qui s’enroue. Lovée. Sauvegardée. À cloche-pied, nous naviguons, dans les circonvolutions d’une prose, dans les volutes d’une rose…entre deux tons. Du fondu étrange, instable, de couleurs, numérisées et retouchées, au hiatus creusé par le travail d’une intonation sur des signes inscrits dans l’orbe d’un réseau homophonique, comment trancher ? Comment composer, entrelacer et agencer ce qui, simultanément, se trouve posé ?
Louise Provencher

Écoute : c’est une peau tendue sur une chambre d’écho,
et qu’un autre frappe ou pince, te faisant résonner,
selon ton timbre et à son rythme .